« Lettre Imaginaire » n°8 : la réponse inattendue

Dès que tu as fait à Satan la concession de discuter avec lui,

tu peux être sûr qu'il te bat en dialectique et te convainc.

Lucian Blaga

 

Mon cher Thomas,

 

Je te félicite d’avoir, en fin de compte, eu le courage d’inscrire ton nom et ton adresse sur ton courrier. Il faut en effet beaucoup de bravoure, à moins d’être inconscient, pour ne pas me craindre. Cela d’ailleurs m’interroge : est-ce toi qui maîtrises la peur, ou ton ignorance qui t’en préserve ? J’espère que tu seras assez « malin » pour trouver la réponse.

Mais, vois-tu, en dépit de la mauvaise réputation à laquelle tu aimes faire allusion à mon sujet, j’ai décidé d’éclairer un peu ta lanterne. Entre incroyants, il faut bien s’entraider, n’est-ce pas ?

Je note que tu écarquilles les yeux en me lisant, et que tes mains tremblent anormalement. T’étonnerais-tu que ton message ait été porté à ma connaissance ? Tu ne t’attendais évidemment pas à cela. Comment la chose a-t-elle été rendue possible ? Voilà bien un mystère de plus que tu aimerais sans doute résoudre, mais ce serait en vain. Les mystères sont notre invention, à Dieu et à moi. Un vieux truc pour amener tes congénères à croire en nous. Je dois dire que, jusqu’ici, cela a plutôt bien marché. D’ailleurs, au départ, c’était principalement mon idée. Avec l’orgueil que j’avais insufflé dans votre cœur, je me doutais que vous ne supporteriez pas de ne pas avoir réponse à tout. Alors, lorsque vous vous sentez perdus, quoi de plus simple que de vous tourner vers nous ?

Vous pensez que Dieu a inventé la vérité et moi le mensonge. Je t’assure que vous vous trompez du tout au tout. C’est vous qui avez inventé ce concept, une fois de plus, pour vous rassurer. Tout vous paraît tellement plus simple lorsque l’on vous affirme qu’une chose est vraie et qu’une autre ne l’est pas. Cela vous évite de vous fatiguer à trop réfléchir. Vous avez compris qu’il est plus ardu de se forger une opinion que de simplement en avoir une. Eh oui, c’est aussi moi qui vous ai appris l’indolence, que depuis vous consommez sans modération. Normal : vous avez goûté à la gourmandise, une autre de mes bonnes inventions.

Je te prie, à ce sujet, d’observer comme vos propos à mon égard sont si souvent injustes : je vous apprends à vous reposer, à bien boire et bien manger, vous amuser et profiter de la vie (qui n’est tout de même pas si longue), et vous m’en faites aussitôt le reproche ! Ce n’est d’ailleurs pas la seule injustice dont je sois victime. Toutes ces légendes stupides dont vous m’affublez : pieds fourchus et yeux injectés de sang, rituels stupides et potions à base de bave de crapaud… Tu as raison : qui supporterait des trucs pareils ? Je vous ai appris le plaisir, l’auriez-vous oublié ? Je ne peux même pas soupçonner Dieu de vous avoir inspiré pareilles sornettes sur mon compte. Ce n’est pas son genre. Il est trop sérieux, tellement occupé à vous pardonner et sauver vos pauvres âmes. Je ne vois pas non plus pourquoi je passerais ma vie à rôtir en enfer. Ce lieu est exclusivement réservé aux pauvres pêcheurs que vous êtes, pour vous punir de vos crimes. Je serais bien fou de m’imposer le même châtiment. À moins que tu n’aies déjà vu un bourreau se guillotiner en même temps que sa victime ?

Donc, autant te dire que la plupart de tes réflexions m’ont paru frappées au coin du bon sens. Il te manque certes les bonnes réponses, mais au moins tu témoignes d’une rare ouverture d’esprit en t’interrogeant non pas seulement sur ce que tu ignores, mais aussi sur ce que tu considères comme acquis. Je te le dis, ce sont là les premiers pas vers la sagesse.

Il est vrai que tu t’appelles Thomas. Je crois savoir que, malgré l’agnosticisme vers lequel tu aimerais tendre (et dont tu restes apparemment encore très éloigné), tu as été baptisé. J’ai bien connu le Saint dont tu portes le nom. J’ai longtemps pensé que lui et moi pourrions être amis. Tu parais avoir hérité d’une bonne partie de son caractère, enfin celui qui faisait de lui un homme et non l’icône sanctifiée qu’il est ensuite devenu. Il avait alors l’habitude de dire : « Je ne crois que ce que je vois ». Un peu comme toi.

Aussi, le mieux serait que j’apparaisse pour de bon devant tes yeux incrédules. Tous tes doutes s’évanouiraient. Mais c’est, hélas, impossible. Le Fils de Dieu lui-même, qui ne comptait ni son temps ni sa peine pour convaincre tes ancêtres de notre existence, avait pris Thomas à part, pour lui expliquer : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. » Et, aussi « incroyable » que cela soit, voilà Thomas et les autres convaincus ! Depuis, bien que n’ayant jamais aperçu la plus petite queue d’un diable ou les poils d’une barbe divinement frisée, vous êtes des milliards à croire en nous ! Preuve, s’il en faut, que Dieu n’a pas inventé le miracle par hasard.

Pourquoi ni Dieu ni moi ne pouvons apparaître devant toi ? L’explication la plus simple serait que, comme je te l’ai déjà dit, nous sommes fort occupés. Comment pourrions-nous répondre, à la demande, à bientôt dix milliards d’humains si peu éveillés ? Je sais que vous croyez aussi au Père Noël, mais il ne faudrait tout de même pas confondre. Non, en réalité, nous sommes tout bonnement invisibles ! Pour comprendre, le mieux serait de prendre un exemple, avec l’air que tu respires : tu ne le vois pas et pourtant tu sais très bien qu’il est là. Qu’il te manque ne serait-ce qu’une minute, et tu commenceras à te sentir très mal. Eh bien, c’est pareil pour Dieu et moi. Si on devait s’absenter même un court instant, vous ne tourneriez plus rond. Un lien aussi puissant, nous en sommes très fiers ! Du coup, il n’est pas né celui qui nous fera renoncer à nos éminentes fonctions. Tant qu’un humain habitera ce monde, il pourra compter sur nous. Promis juré, et si je mens, je brûlerai en enfer.

Il n’est pas aisé de se faire à cette idée qu’invisibles ne veut pas dire absents. Nous sommes là depuis et pour toujours, au cœur de la moindre particule qui forme cet univers. Ne dit-on pas que j’aime me cacher dans les plus petits détails ?

Aussi, comme tu m’es apparu fort sympathique, j’ai décidé de te dévoiler un secret : le vieux barbu et moi, l’horrible cornu, sommes les deux faces de chacune de ces particules. Considérant que tu n’es toi-même qu’un minuscule amas de particules, je te laisse en tirer les conséquences.

Beaucoup de mortels ne veulent considérer le monde que selon l’angle du divin, et ils sont libres de le faire. Pour autant, je suis toujours là, un peu oublié, mais bien là. Alors, quand tu te proposes de prier et de te tourner vers Dieu, crois-le ou non, cela me ravit. Je ne peux que t’y encourager. Car lorsque tu te détourneras de lui, tu te retrouveras face à moi, le plus naturellement du monde. Oublie en effet les nuages et les entrailles de la terre. Je sais que certains affirment qu’en pensant « bien », tu ne pourras que t’élever, et qu’en pensant « mal », tu tomberas très bas, mais il ne faut tout de même pas exagérer. Que diable ! gardons les pieds sur terre, même s’ils sont fourchus.

Encore un point, avant de te laisser à tes réflexions. Tu as tort de penser que je n’existe que pour détruire, et Dieu pour construire. Vous admettez vous-même qu’après une semaine de travail, votre créateur n’en pouvait plus et a décidé de se reposer en vous laissant finir le chantier qu’il avait entamé. Désolé, mais une fois de plus, ce n’est qu’une de vos inventions pour nous faire porter le chapeau. Comme si vous ne preniez pas vraiment plaisir à faire la guerre, tuer, chasser, voler, ou encore décimer la planète qui vous a vus naître ! Votre hypocrisie est sans limites, pour me mettre ça sur le dos ou en pensant qu’il suffit de vous confesser pour être exonéré de vos fautes.

Allez, ce dernier coup de pouce, pour t’être agréable : si tu tiens vraiment à contempler le visage de Dieu ou le mien, mets-toi face à un miroir et regarde au plus profond de ton âme.

À bientôt, mon cher Thomas, et n’oublie pas : à Malin, Malin et demi !

 

Satan

 

Thomas n’avait-il pas évoqué un autre personnage célèbre, « légendaire », dans son audacieux message ? Voyons ce que le jeune Franck en pensera, la semaine prochaine.

Publié le 29/05/2022
« Lettre Imaginaire » n°7 : Que diable !

 

Que devient le Diable quand il cesse de croire en Dieu ?

Stanislaw Jerzy Lec

 

Monsieur le Diable,

 

Sache, avant tout, que je n’ai pas peur de toi (même si beaucoup d’adultes autour de moi pensent que je devrais). Je ne te crains pas, simplement parce que je ne crois pas en toi. Ceci dit, sois tranquille, je ne crois pas davantage en Dieu.

Il se trouve que je suis un enfant de la République et que je vais en classe dans une école publique, donc laïque. Oh, bien sûr, cela ne m’interdit pas d’avoir la foi. Mais mes professeurs ne sont pas chargés de m’enseigner cette matière. Quant à mes parents, ils sont bien trop occupés à essayer de gagner un peu d’argent, pour avoir le temps de penser à ces choses-là.

De fait, si j’avais cru en Dieu, j’aurais forcément cru en toi. Il semble que vous soyez inséparables, tous les deux. À la façon de frères ennemis. (Si cela avait été comme Dupont et Dupond, ç’aurait été plus rigolo.) Mais je suis bel et bien athée. Des gens ont bien sûr essayé de me convaincre de votre existence, à commencer par plusieurs de mes camarades. Pourtant, je n’ai pas marché. Dans votre histoire, rien ne tient. En comparaison, les aventures de Tintin sont nettement plus crédibles.

L’Un qui vit tout en haut dans le Ciel, sans jamais retomber (Newton est pourtant certain que c’est impossible), et toi qui vis dans les flammes, au centre de la Terre, ce que seul Jules Verne pourrait admettre, et encore, sous certaines réserves. Dieu a au moins l’avantage d’être à notre image (à moins que ce ne soit l’inverse), mais toi, avec tes oreilles pointues, tes cornes de bélier, tes yeux injectés de sang, ta longue queue fourchue et des sabots en guise de pieds… cela ne fait pas très sérieux.

Comme ta manie aussi de vouloir que tout aille mal ! Dieu, Lui, ne veut que du bien pour nous. C’est une qualité rare, mais admirable. Vouloir tout détruire est un défaut largement partagé et qui n’inspire aucun respect. Si on devait voter, tu finirais d’avance perdant. Je reconnais d’ailleurs que c’est ne pas te faire justice. À voir l’état dans lequel est le monde, tu te montres bien plus efficace dans ta mission que ne l’est ton adversaire. Au moins, tu tiens tes promesses, et c’est pourtant contraire à ton éthique.

Bon, mais je devine ta question : pourquoi t’écrire, si je doute de ton existence ? C’est probablement qu’il faut bien tenter le diable !

Imagine ma surprise si, pour t’avoir contacté, tu devais d’un coup apparaître devant moi ! Personnellement, je n’y tiens pas. Je vois d’ici ma tête, la tienne aussi, et cela ne me rassure pas. En même temps, je suis convaincu que tu n’existes pas. Donc, je ne risque rien. N’est-ce pas ?

Et si j’ai choisi de t’écrire, c’est qu’apparemment les prières ne t’intéressent pas plus que ça. Sauf si je m’en tiens aux légendes ridicules que j’ai lues, où il s’agit de pratiquer des rites bizarres et de prononcer des incantations magiques, en buvant un savant mélange de bave de crapaud, de sang de serpent et de bile de chauve-souris. Décidément, tu ne crains pas le ridicule. Et c’est comme ça que tu comptes recruter des fidèles ? Un bon diabolo fraise ou un chocolat chaud nappé de crème fouettée feraient tout de même mieux l’affaire. Sans compter qu’hurler à la lune est moins discret que de déposer une lettre dans une boîte.

Mais, même ainsi, ce n’est pas simple. On dirait que tu n’as rien vraiment prévu, anticipé. Ce qui, dans ton cas, est totalement impardonnable. Je m’explique :

- quel nom dois-je inscrire sur l’enveloppe ? Satan, Diable, Méphistophélès, Belzébuth, Léviathan, Asmodée, Lucifer, le Prince des ténèbres ? Une fois de plus, ce n’est pas sérieux. Papa, qui est dans la publicité, dit que le nom et le logo d’une marque sont parfois plus importants que le produit lui-même. De ce côté-là, tu as tout faux. Tu devrais t’en tenir à un nom et ne plus en changer. D’ailleurs, si je peux me permettre ce conseil (mais papa aurait dit pareil), évite « Prince des Ténèbres ». Ce n’est pas crédible vu que tu prétends vivre dans les feux de l’enfer. Tu ne dois pas être en manque de lumière.

- quelle adresse ? « Entrailles de la terre » ? Parce que, à propos de flammes éternelles, je doute qu’il existe un seul papier qui puisse résister à de telles températures. Mes mots ne seront plus que cendres avant que tu aies pu porter tes yeux (injectés de sang) sur eux.

- et enfin, je n’ai aucune chance que La Poste me prenne au sérieux. Quel facteur, même expert en spéléologie, accepterait de se dévouer pour descendre si profond ? Sans compter que le sens du service, dans cette institution, n’est plus ce qu’il a été. Pourquoi n’habites-tu pas sur terre, dans une grande capitale, là où il serait facile de te joindre ? Après tout, tes pouvoirs sont supposés te rendre indestructible, même face à la pollution urbaine.

J’en viens à me demander lequel de nous deux est le moins sensé. Moi, qui me lance dans une tentative vouée d’avance à l’échec, pour toutes les raisons énoncées. Ou toi qui rêves de t’approprier chaque âme humaine, alors que tu sembles tout faire pour rester injoignable ?

De toute façon, rien n’a de sens avec toi. Admettons que tu mènes au bout ton œuvre de destruction (vu que, comme je te l’ai déjà dit, on doit admettre que tu es bien parti pour ça). Comment vois-tu la suite ? J’imagine que si tu te retrouves au chômage, ce sera aussi le cas de ton frère ennemi. Où va le monde, avec de tels plans sans lendemain ?

Il faut tout de même que je t’avoue la vraie raison pour laquelle je t’écris « au cas où tu existerais pour de vrai ». Dans un combat, je suis pour l’égalité des chances, et il n’est pas question de tricher. Je refuse d’être superstitieux, par crainte que cela ne me porte malheur, mais j’ai tout de même pris une décision. Aussitôt ma lettre postée, je reviendrai dans ma chambre pour… prier. Je veux aussi m’adresser à Dieu, Jéhovah, Allah, Grand Manitou, Adonaï, Le Verbe, Le Très Haut, le Créateur… (Lui non plus n’a pas dû faire d’école de publicité). Car, contrairement à toi, Le contacter est on ne peut plus simple. Même pas besoin de bave de crapaud ni de formules magiques. Juste joindre les mains, fermer les yeux et s’adresser à Lui en silence.

Si j’établis le contact, je Lui demanderai d’un peu mieux utiliser Ses pouvoirs. Autour de moi, je ne vois que des gens tristes qui (eux aussi) ne croient plus en rien. Les vieux s’excusent d’avoir si mal géré la planète, de s’être montrés si égoïstes. Les jeunes ne savent plus vivre qu’au jour le jour. Mes copains et moi, on aimerait faire quelque chose, mais on ne sait pas quoi. De toute façon, personne ne nous prend au sérieux. Alors, je peux bien me fendre d’une petite prière.

Après tout si ni Dieu ni toi n’existez, il serait peut-être temps de vous inventer.

Allez, à Dieu vat.

 

Thomas

PS : j’hésite encore à mettre mon nom et mon adresse au dos de l’enveloppe.

 

Et si le diable lisait la lettre de Thomas ? Nous en saurons davantage la semaine prochaine.

Publié le 22/05/2022
Faute de grives…

Comment ne pas se réjouir, avec Jean-Yves Le Drian, de la défaite de Scott Morrison aux toutes récentes élections australiennes ?

C’est certainement un moment important de l’histoire politique récente du pays. Au-delà de l'affaire des sous-marins, la gouvernance ultra libérale de Morrison, pilotée par ses alliés anglais et américains, a provoqué des dégâts considérables sur le plan social, mais aussi et surtout environnemental pour l’île-continent.

L’ennui est que le nouveau Premier ministre australien, le travailliste Anthony Albanese, ne jouit pas d’une bien meilleure réputation au sein de la population, en tout cas pas celle d’un homme très brillant. Ses promesses en matière sociale et écologique, certes alléchantes, vont nécessiter de véritables compétences techniques et politiques pour aboutir.

Mais ne dit-on pas (un peu partout sauf en France) que, plus que l’homme, c’est l’équipe qui compte. La constitution de son gouvernement avec des femmes et des hommes de compétence, ou non, donnera vite le ton de la politique d'Albanese pour ces prochaines années.

 

Et c’est bien là tout le problème ! Celui du manque de compétences.

Nombre de pays sont concernés. Comment élire un président, un Premier ministre, un député… lorsque le choix de bons candidats est si restreint ?

Faire tomber Poutine en Russie est une chose, mais pour le remplacer par qui ? Trudeau, au Canada, un président jeune, plein de promesses et d’avenir, est aujourd’hui l’objet de nombreuses désillusions. Or, s’il fallait le mettre hors-jeu, qui serait à même de donner plus d’espoir au pays ? Aux USA, un Démocrate remplace un Républicain de la pire espèce, mais les politiques intérieure et extérieure du pays ont-elles vraiment changé ? Et ainsi de suite…

 

L’honnêteté, la loyauté, le courage, la transparence, le dévouement à de grandes causes… apparaissent comme des valeurs désuètes et désormais absentes de l’éducation suivie par tous les politiciens en herbe. Elles sont pourtant essentielles dans la balance qui, sur son autre plateau, a placé les poids lourds que sont la finance et l’économie, la diplomatie et la négociation, la communication et la pipolisation, la surveillance et le contrôle… afin de garantir un juste équilibre des mesures prises pour le peuple.

Sans elles, que vaut une démocratie ?

 

Hélas, Res publica oblige, la chose est devenue courante, l’électeur s’y est vite habitué : "faute de grives, il se contentera de merles". Et quoi de plus enchanteur que le chant d’un merle ?

Publié le 22/05/2022
« Lettre Imaginaire » -6 : Il est temps que cela… barde !

Je vous propose de repartir en lecture au fil... des Lettres imaginaires

(Pour rappel, les cinq précédentes ont été publiées dans cette même rubrique, à des dates antérieures, et une introduction à ce recueil a été présentée dans la chonique du 14/03, intitulée "Lettres Imaginaires".)

 

Le texte qui suit est en hommage à Madame Brigitte Bardot et est reproduit avec son accord.

 

Je ne fais pas partie de l'espèce humaine. Je ne veux pas en faire partie.

Je me sens différente, presque anormale.

Aussi longtemps que l'animal sera considéré comme une espèce inférieure,

qu'on lui infligera toutes sortes de maux et de souffrance,

qu'on le tuera pour nos besoins, nos loisirs et nos plaisirs,

je ne ferai pas partie de cette race insolente et sanguinaire.

B. Bardot

 

Chère Madame Brigitte Bardot,

 

C’est la première fois que j’écris à quelqu’un d’aussi célèbre que vous. Mais je le fais car je vous aime beaucoup et j’ai confiance en vous. Bien sûr, je comprendrai si vous n’avez pas le temps de me répondre. Le plus important pour moi est que vous receviez ma lettre et puissiez la lire.

Je sais que des tas de gens vous admirent parce que vous étiez une très célèbre actrice. Mais je suis trop jeune pour connaître vos films. J’en ai tout de même vu deux, dont un en noir et blanc, auquel je dois dire que je n’ai pas tout compris. Ce qui est sûr, c’est que vous étiez très belle. Tous les hommes devaient tomber amoureux de vous. Aujourd’hui, vous êtes une vieille dame, et moi je vous trouve toujours aussi belle et encore plus formidable.

Au moins, vous n’êtes pas égoïste, comme la plupart des stars. Vous avez arrêté de faire des films, et vous n’êtes pas restée juste entourée de vedettes du cinéma ou de la télé. Vous avez préféré défendre la cause de ceux que vous refusez de voir souffrir : les animaux. C’est vraiment courageux. Des gens se moquent de vous à cause de cela, mais cela ne vous a jamais empêchée de continuer à défendre les animaux, depuis près de cinquante ans.

J’imagine que peu de personnes sur terre en ont sauvé autant que vous, même s’ils en ont pourtant les moyens. Une chose est sûre, si un jour j’ai de l’argent, je ferai exactement comme vous.

J’en ai déjà secouru pas mal moi aussi : des oiseaux pris dans des fils plastique, des hérissons qui vont sur la route, des mouches affolées devant la fenêtre fermée, ou encore des araignées tombées dans le lavabo ou la baignoire. Mais, bien sûr, c’est si peu en comparaison de vous et, surtout, face à tous ceux qui préfèrent leur faire du mal.

Chez moi, c’est très difficile. Mon grand-père est chasseur et lui, depuis plus de cinquante ans, il tue des animaux sauvages. Il dit qu’il aime les bêtes, sous prétexte qu’il aime son chien de chasse. Mais même son chien est malheureux, enfermé dans sa cage pendant toute la semaine.

Mon père aussi est chasseur, et il a déjà offert une carabine à mon frère. À la maison, on se dispute tout le temps. Je vois bien que lui et mon grand-père ne m’aiment pas. Surtout depuis que je refuse de manger de la viande. Ma mère ne dit rien ; mais, justement : elle ne dit rien. Elle préfère les laisser faire plutôt que de se fâcher avec eux. Du coup, je me sens très seul. Personne ne me comprend et je ne comprends personne.

Quel plaisir y a-t-il à tuer un être vivant ? Quand ce n’est pas, comme souvent dans ma région, pour les torturer. N’ont-ils jamais écouté le chant des oiseaux qu’ils vont piéger ? Comment peuvent-ils les laisser mourir de faim, de soif, de douleur ? Pourquoi sont-ils insensibles au regard d’une vache, d’un agneau, d’un âne ? Aucun de ces animaux qu’ils aiment tuer et manger ne leur a fait de mal, ne les a attaqués. Sans parler de ceux qui leur font peur : araignées, serpents, (et aussi les requins, les tigres, qui ne risquent pourtant pas de leur faire du mal par chez nous). Ils veulent les massacrer, sans raison. Mes parents et mon frère vont jusqu’à écraser les abeilles qui viennent butiner les fleurs sur notre balcon, si elles ont le malheur d’entrer par la fenêtre laissée ouverte. Comme si elles pouvaient savoir ! Et en plus, elles ne sont pas dangereuses. Ils sont pourtant bien contents de couvrir de miel leurs tartines du matin !

Vous avez sauvé des centaines et peut-être des milliers d’animaux. Mais vous voyez bien que cela ne suffit pas. C’est pour ça que je vous écris. Car je pense que vous devriez créer une armée !

Pas pour tuer ces gens, et devenir aussi bêtes et méchants qu’eux, mais juste pour les empêcher de continuer d’agir comme ils le font. Les gendarmes sont de leur côté, et bien souvent les juges aussi. Du coup, les chasseurs, les abattoirs, les mauvais éleveurs ne sont jamais condamnés. Il manque plein de lois, et de volontaires pour les faire respecter quand elles existent. Je suis encore trop jeune, mais dans trois ans, quatre au plus, je pourrai rejoindre votre armée. Et nous serons des milliers à le faire. On volera leurs fusils aux chasseurs et leurs pièges aux braconniers. On libérera leurs chiens, leurs furets, qu’on gardera avec nous. Et quand ils en auront assez de dépenser tout leur argent, ils passeront peut-être à autre chose.

Mais le plus important, c’est qu’on fera des tas de collectes pour acheter des forêts, des champs, des rivières, qu’on protégera nous-mêmes, en nous relayant. Les hérissons trouvés au bord des routes, les faisans que l’on fera s’échapper des élevages, tous les animaux qu’on réussira à sauver auront une place dans nos réserves protégées. Les chasseurs pourront continuer de s’empiffrer devant leurs télés et fumer leurs gros cigares en rêvant de tuer des bisons ou des éléphants pour se sentir plus grands et plus forts (ce qu’ils ne seront jamais), mais on finira bien par les dégoûter. On leur offrira des peluches et des têtes d’animaux en carton afin qu’ils les accrochent au mur, au-dessus de leur cheminée. On leur donnera aussi des appareils photos, avec le droit de venir photographier les animaux en liberté dans nos réserves, pour apprendre à les regarder et à les écouter. On pourrait aussi employer quelques « chasseurs intelligents » (il en existe peut-être) pour qu’on échange nos connaissances. Et je suis sûr qu’il y a encore plein d’autres idées à envisager.

Je sais que vous devez être fatiguée et même découragée, Madame Bardot. Mais il faut que vous teniez bon. Notre armée a besoin de vous. Peut-être que nos mères finiront par suivre votre exemple, ainsi que tous les pères qui préfèrent offrir un vélo à leur fils plutôt qu’un fusil. Dans mon collège, on est nombreux à être d’accord et prêts à faire quelque chose. C’est juste qu’on ne sait pas comment s’y prendre. D’ailleurs, à la cantine, une fois par semaine c’est repas végétarien. Et tout le monde se régale. Même ceux qui ne veulent pas se passer de viande se rendent compte qu’il est possible de ne pas en manger tous les jours.

Avec plusieurs copains, on a formé un groupe de reportage. Chaque mois, on prépare un exposé sur un animal différent. Pas juste des informations ennuyeuses, mais aussi des photos humoristiques, des sketches avec des déguisements, des jeux, des concours. C’est un énorme travail. On le fait volontiers depuis que le directeur nous a encouragés et nous laisse tout le préau et l’amphi disponibles pour notre journée spéciale « animalière ». La semaine dernière, il nous a dit qu’il envisageait d’inviter les parents d’élèves, si on continue de faire un si bon travail. D’autant que plusieurs professeurs nous ont rejoints et nous aident beaucoup. Il paraît que, le mois prochain, il y aura même un correspondant du Midi-Libre qui passera pour faire un article sur notre groupe !

Bien sûr, je ne m’attends pas à ce que ma famille vienne un jour nous encourager. C’est dommage. Ils comprendraient que je ne suis pas le seul enfant à m’intéresser à la protection animale, et peut-être que, pour une fois, ils écouteraient notre point de vue.

Chère Madame Bardot, je vous laisse mes coordonnées au dos de l’enveloppe, pour que vous puissiez me répondre si vous en avez le temps, et pour que vous sachiez que vous serez toujours la bienvenue dans notre collège, au cas où vous passeriez un jour dans la région.

Je me permets de vous embrasser, et j’adresse plein de caresses à tous les gentils animaux qui vous entourent.

 

Noé

 

La semaine prochaine, si tout va bien, le jeune Thomas tentera d'écrire à celui dont on préfère éviter de prononcer le nom...

Publié le 16/05/2022
Des marais d'Oléron jusqu'à la Chine...

Rien de mieux qu’une escapade dans les marais proches d’Oléron pour se nourrir de magnifiques images et se changer sérieusement les idées. Les habitants du marais étaient là, de la petite libellule à la gigantesque cigogne, en passant par les guêpiers, les gorges-bleues, les martins-pêcheurs, les bergeronnettes printanières, les spatules, les hérons (dont le magnifique héron pourpré), les cygnes, les buses, les faucons-crécerelles… Quel bonheur aussi que de réentendre le chant des grenouilles et découvrir ainsi qu’elles n’ont pas toutes disparu.

 

 

                               Bergeronnette printanière                                                                       Guêpier

 

 

                                        Spatule                                                                                     Héron  

Images : cheminsetcultures. Tous droits réservés. © 2022

 

Et, à propos d’oiseaux, les passionnés de nature le savent : certains de ces volatiles témoignent d’un formidable courage lorsqu’il s’agit de défendre leur territoire.

Lorsque leur gabarit est imposant, cela suffit souvent à décourager les intrus, y compris des humains. Par exemple, se promener en canoë et approcher un peu trop un nid de cygnes risque de déclencher l’ire du mâle ou de la femelle qui n’hésiteront pas à attaquer et, parfois, provoquer le dessalement de l’embarcation et envoyer ses passagers à l’eau. Idem avec l’oie, qui protège « sa » zone réservée avec une fermeté redoutable. Il arrive ainsi que des randonneurs se voient interdire l’accès à certains chemins, si par malheur ceux-ci traversent  le territoire d’une ou plusieurs oies. Et il est difficile de ne pas prendre ses jambes à son cou face à la charge d’oies en colère !

 

Les hommes ont de tout temps su exploiter les qualités des animaux pour servir leurs intérêts, et les Chinois aujourd’hui ne font pas exception. National Geographic nous apprend en effet que plus de cinq cents oies ont été déployées le long de la frontière sino-vietnamienne, afin de lancer l’alerte en cas d’entrées illégales sur le territoire. Les cris des oies, en plus de parfois suffire à repousser les intrus, alertent les gardes-frontières et leurs chiens. Ce plan de défense a été concocté dans le cadre de la lutte contre la Covid 19, afin de mieux contrôler les déplacements illicites.

Après tout, il y a longtemps, les oies ont sauvé le Capitole. Aujourd’hui, pourquoi ne protégeraient-elles pas la « Grande muraille »  

Publié le 16/05/2022
« Lettre Imaginaire » -5 … Le rêve est-il un… Vol de nuit ?

Les chroniques de cette rubrique se font un peu rares ces temps-ci, et je le regrette.

Mon actualité littéraire étant au repos, et celle du monde extérieur  ne générant pas un enthousiasme débridé, il n'est pas toujours facile de trouver l'angle juste pour évoquer notre grande communauté, sans dramatiser ni non plus édulcorer.

 

- Mes pires craintes concernant l'Ukraine sont hélas désormais avérées, idem pour la Birmanie ou le Sri Lanka, deux pays dont je garde pourtant le souvenir d'une magnifique beauté, rare et, sans doute, trop paisible.

- La Covid continue de ronger nos relations sociales et de faire des morts dont plus personne ne juge bon de parler. En Inde, en Chine, mais aussi en France. Il se pourrait même que ce ne soit pas politiquement convenable de l'évoquer.

- Sébastien Arsac, cofondateur et directeur des enquêtes de L214 a récemment passé toute une journée sur le banc des accusés, au tribunal correctionnel de Brest, jugé pour violation de domicile et atteinte à l’intimité de la vie privée, (suite à une enquête de 2019 sur les veaux des élevages laitiers en Bretagne, montrant des veaux frappés à coups de pied, des veaux jugés trop maigres piqués par un vétérinaire complaisant, des veaux enfermés toute leur vie, des élevages dans un état sanitaire déplorable...) et a été condamné à payer 13 000€ d'amende, pour juste avoir eu le tort d'être un lanceur d'alerte.

- A propos de lanceur d'alerte, qui se préoccupe encore du calvaire que vit Julian Assange ? son recours auprès de la Cour suprême britannique a été rejeté (en totale contradiction pourtant avec l'avis de la Haute cour !), il est retourné une nouvelle fois à la case prison, son extradition vers les Etats-Unis est désormais inévitable, et l'Australie, par la voix de son Premier ministre Scott Morrison (clone du Premier anglais) s'est empressée de faire savoir qu'elle ne ferait rien pour l'empêcher ! D'ailleurs, il semble bien que tout le monde (sauf l'administration US) se fiche de l'avenir d'Assange.

- Chez nous, les élections présidentielles laissent un goût amer par le sentiment largement exprimé qu'une nouvelle forme d'expression démocratique est urgente à trouver. Et bien sûr, compte n'a toujours pas été tenu des votes blancs ce qui, le sachant, n'incite pas les électeurs tentés par cette "autre expression possible" à la choisir.

 

Ainsi va le monde.

Simplement, je me sens privé, et depuis trop de mois, de sa beauté ; celle dont mon âme a toujours cherché à se nourrir, m'incitant à prendre la plume pour la défendre, la partager avec tous ceux qui se réclament de cette même sensibilité et n'en éprouvent nulle honte.

 

Bien sûr, quand la réalité porte si haut les couleurs de la violence, de l'infâmie, de la bêtise, nous reste-t-il la ressource du... rêve. Une Voie Royale à l'entrée de laquelle nous attendent de merveilleux guides. Saint Exupéry est de ceux-là. Voici la 5ème Lettre Imaginaire, celle adressée par Sophie au Petit Prince.

 

 

Il ne savait pas que, pour les rois,

le monde est très simplifié.

Tous les hommes sont des sujets.

 

A. de St Exupéry   (Le Petit Prince)

 

Votre Altesse,

 

Je dois tout d’abord vous dire que c’est bien la première fois que j’écris une lettre que je n’enverrai sans doute jamais. Je la garderai dans un tiroir, en attendant.

J’aurais pourtant tellement aimé la partager avec vous. Mais comment faire ?

C’est étrange : alors que vous êtes si souvent dans mes pensées, je réalise que je ne sais presque rien de vous, et certainement pas où vous habitez. Je ne compte plus le nombre de fois où, lorsque je me réveille au beau milieu de la nuit, je file à la fenêtre pour contempler les étoiles. Je garde toujours l’espoir qu’un petit signe, quelque chose d’insolite, me permettra de repérer la vôtre, même si je la sais lointaine et toute petite.

Mon autre espoir, c’est de pouvoir, lorsque je serai plus grande, partir au beau milieu du désert africain, et tenir ainsi la promesse que j’ai faite (au plus profond de mon cœur) à votre vieil ami, Saint Exupéry. Celle de tout faire pour vous retrouver, et de l’en avertir aussitôt.

Je crains, là encore, que ce soit une vaine promesse. Car, l’avez-vous su ? lui aussi a disparu. Pas comme vous, dans la chaleur du désert, mais dans le froid de la mer. C’est au fond de l’eau que l’on a retrouvé son cher avion. On en a déduit qu’il était mort dans un accident.

Je n’en suis pas si certaine. Ne serait-il pas possible qu’il vous ait rejoint là-haut, sur votre minuscule planète ? Quelle belle façon ce serait de rompre votre solitude à tous les deux, et d’entretenir votre fidèle amitié.

D’ailleurs, êtes-vous toujours son « Petit Prince » ? Depuis le temps, vous avez dû beaucoup grandir et êtes sans doute Roi, désormais. C’est pourquoi je vous ai appelé « Altesse », même si je n’aime pas trop cette idée, et que je vous préfère en Petit Prince. Ici, sur terre, Altesse est un mot que les grandes gens ont inventé pour les petites gens, afin de distinguer ceux qui sont riches et célèbres de ceux qui ne le sont pas.

Mais vous, ce n’est pas pareil, et cela ne me dérange pas de vous appeler ainsi. Votre richesse tient tout entière dans une simple rose, un peu capricieuse, et le souvenir d’un rusé renard à peine apprivoisé. Et puis, quelle importance d’être roi, sur votre tout petit caillou céleste, où il n’est personne pour régner à votre place, et où il n’existe ni serviteur ni esclave ? C’est tout de même mieux : pas de trésors, de pièces ou de lingots à compter et recompter, à protéger. De comptes, vous n’avez à en rendre qu’à vous-même. Ah, pardon, et à votre rose, petite fleur craintive et délicate.

Il est probable qu’elle se soit fanée, après toutes ces années. Mais il est tout aussi probable que d’autres graines soient tombées depuis, d’on ne sait où, et auront fleuri sur votre planète.

Seulement, je ne suis pas convaincue que cela constitue une compagnie suffisante. Même si j’aime également leur parfum, et n’oublierai pour rien au monde, chaque matin, de le respirer, je ne saurais me satisfaire de leur seule présence.

Ici-bas, je me sens terriblement seule. Ce n’est pas qu’il n’y a personne autour de moi, mais tout le monde me semble si différent, presque étranger. Cela vaut aussi pour mes parents. Maman court toujours après le temps, un peu comme le Lapin Blanc d’Alice. Et mon père ne cesse d’en rajouter, en précisant au moins deux fois, par jour : « Et le temps, c’est de l’argent ! »

Je ne peux pas envisager mes prochaines années, ma vie tout entière de cette façon, à courir comme un hamster dans sa roue, jusqu’à l’épuisement. Il est pourtant si facile de faire que le temps n’ait aucune importance. Il suffit de ne plus y penser. Ne serait-ce pas merveilleux si toutes les montres, les pendules, les réveils s’arrêtaient d’un coup de fonctionner ? Peut-être les hamsters auraient-ils alors une chance de s’échapper de leur cage ?

Je crois que vous et Monsieur Saint Exupéry me comprendriez mieux. Votre présence me serait d’un tel réconfort. C’est pourquoi j’aime bien vous imaginer ensemble, lui vous posant des tas de questions, et vous n’y répondant pas. Il ne resterait silencieux que quarante-trois fois par jour, le temps de profiter avec vous de la douceur des quarante-trois couchers de soleil visibles depuis chez vous. Aussi, s’il a eu la bonne idée d’emporter avec lui du papier et son stylographe, vous êtes tranquille. En deux coups de crayon, pardon : stylo, il habillera votre gros rocher de toute la beauté qui fait battre votre cœur.

J’aimerais bien, dans mon rêve, qu’il dessine un équipage d’oiseaux sauvages, capable de vous emporter tous deux dans une nacelle. Vous atterririez sur terre, au beau milieu du désert, au moment même où je serai à votre recherche. Ou plutôt, à l’instant précis où j’aurais cessé d’y croire, croyant mon rêve brisé.

Je voudrais que le renard soit là. Et peut-être aussi le serpent ; je ne le crois pas si méchant. Ainsi tous réunis, nous passerions des soirées formidables, autour de grands feux dont les étincelles monteraient au ciel et formeraient autant d’étoiles de plus au-dessus de nos têtes. Nous ne cesserions de rire en les regardant s’allumer et s’éteindre, tels les réverbères de votre voisin d’une autre planète.

La journée, quitte à demander un peu d’aide à votre ami le renard, je me ferai fort de dénicher une rose rien que pour vous, « unique au monde ». Une fleur telle que vous pourriez la rapporter chez vous, plus tard, sans jamais plus vous soucier de l’arroser ou des dangers qu’elle encourrait, ni donc de devoir lui trouver un mouton… la plus belle des roses des sables !

 

Je sais, tout ceci n’est qu’un rêve.

Je préfère le coucher sur le papier, par crainte de me réveiller un matin, en l’ayant oublié. Mais aussi avec l’espoir, du plus profond de mon cœur, de le voir se réaliser.

 

Avec toute mon affection,

Sophie

 

Attention : il n'y aura pas de Lettre Imaginaire ni de nouvelles chroniques la semaine prochaine, pas plus que la suivante. Le temps est venu de flâner vers l'océan pendant quelques jours, puis de découvrir la faune des marais, au sud de La Rochelle et retrouver ainsi de cette beauté si nécessaire à contempler.

Mais ce n'est que partie remise...

Publié le 25/04/2022
« Lettre Imaginaire » -4 … la réponse de Alva E

Pourquoi une lettre imaginaire n'obtiendrait-elle pas de... réponse imaginaire ? Question que Nicolas, en écrivant à Gustave Eiffel, la semaine dernière, ne s'était bien sûr pas posée.

 

Cher Nicolas,

 

Je fais suite à ton courrier concernant mon arrière-arrière-grand-père.

Je ne sais par quel miracle ta lettre est arrivée jusqu’à moi. Mais l’important est bien que je l’aie reçue. Je l’ai lue attentivement, et je dois t’avouer qu’elle m’a fortement émue. Je puis t’assurer que mon aïeul aurait pris le temps de t’adresser une réponse, et c’est pour cela que je m’autorise à me substituer à lui dans cet échange.

Je suis impressionnée par les connaissances que tu as acquises à ton âge, pour être capable de dessiner des structures aussi complexes que celles que tu évoques. Tes projets sont à la fois une preuve de ta créativité et, ce qui m’intéresse encore plus, d’une juste vision de ce que l’architecture est sans doute appelée à devenir. Je vais m’en expliquer dans les lignes qui suivent.

Mais il me faut tout d’abord te dire que je n’ai pas marché dans les pas de mon ancêtre, ayant préféré suivre des études de biologie environnementale. J’ai aujourd’hui cinquante-quatre ans, et ai passé les vingt dernières années de ma vie à voyager un peu partout sur la planète, dans le cadre de mes travaux d’observation de la nature.

J’ai bien compris ta passion pour l’architecture, et suis certaine que tu accompliras ton rêve. Aussi, je souhaite te faire part de quelques observations qui, peut-être, te guideront dans tes prochaines recherches.

La compétition que tu évoques, à propos de la plus haute tour du monde, n’est pas non plus le point qui m’intéresse. En revanche, en te lisant, il m’est apparu que de futurs bâtisseurs tels que toi pourraient contribuer à solutionner une question qui nous préoccupe beaucoup, mes collègues et moi-même, à propos d’un sujet d’importance qui n’est pas moins que… l’avenir de notre planète !

Comme tu le sais sans doute, la population humaine inflige à cette dernière de terribles blessures. La croissance des villes se fait au détriment des espaces naturels, de la survie de la faune et de la flore sauvages. Si l’on continue d’urbaniser la terre à ce rythme, nous pourrions bien créer un monde duquel toute vie non-humaine aura prochainement disparu. Des architectes et ingénieurs avec lesquels j’ai pu échanger à ce sujet sont convaincus que, pour éviter cela, nous devrons envisager nos futures constructions À LA VERTICALE, et non à l’horizontale ! Exactement comme tu l’as imaginé avec tes « pyramides inversées ».

Leur projet est de loger un maximum de personnes en occupant le moins possible de surface au sol. Pour autant, qui souhaiterait relancer les « cages à lapin », alors que chacun cherche le bonheur d’une belle maison individuelle logée au cœur d’un grand domaine privé ? Il y a contradiction entre ce qu’il faudrait et ce que l’on voudrait. Le seul moyen de la résoudre serait que de hauts immeubles d’habitation offrent un très confortable cadre de vie. Ce sont les ingénieurs de la nouvelle génération qui vont devoir s’atteler à cette tâche, et il est très possible que tu sois l’un d’eux.

Mais, de toute évidence, les défis ne t’effraient pas, ce qui est une chance pour nous tous.

Mon travail m’a procuré de nombreuses occasions d’observer de près l’infini génie qui inspire la nature, en matière de « construction ». Il serait sans doute temps que les architectes se livrent eux aussi à cette observation, avant de se pencher sur leurs planches à tracer et d’y dessiner leurs édifices.

Mon cher Nicolas, dans ton courrier, tu précisais que tu habites à Paris. La nature n’y est, hélas, guère présente. Mais j’imagine que tu es déjà allé te promener à la campagne et qu’il t’est arrivé de t’arrêter, émerveillé, devant l’intense activité qui règne dans une fourmilière ou au sein d’une ruche. Tous les animaux ont besoin d’un abri pour vivre et protéger leurs petits. Les insectes et les oiseaux sont parmi les plus talentueux, capables d’élaborer de véritables chefs-d’œuvre. Aussi, puisque nous nous interrogeons, toi et moi, sur de possibles constructions verticales, les plus hautes possibles, laisse-moi te parler d’un phénomène que j’ai pu observer à maintes reprises lors de mes séjours… en Australie.

En différents points de cette immense et merveilleuse île-continent, s’élèvent des termitières aux proportions gigantesques, alignées tel un champ de menhirs végétaux. Elles se confondent parfois avec une forêt d’eucalyptus qui aurait brûlé pour ne laisser que des troncs calcinés et difformes.

Ces curieux édifices, aux tons ocre et mordorés, se dressent dans le bush. Ils ont été bâtis, avec une incroyable dépense d’énergie, par des colonies d’insectes unis dans un objectif commun qui nous reste mystérieux.

À contempler la hauteur de leurs ouvrages, rapportée à la taille de ces insectes, on ne peut que s’en demander la raison. Espèrent-ils atteindre la lune ? ou tout du moins le ciel ? Entendent-ils relier celui-ci à la terre par leurs colonnes d’argile et de calcaire, dressées vers l’infini, dans le but de surplomber le monde ?

Ces tours apparaissent d’autant plus fascinantes et mystérieuses qu’elles ne sont, à l’instar des icebergs vus depuis la surface de l’eau, que la partie « émergée » d’un ensemble beaucoup plus colossal qui se poursuit sous terre, capable d’abriter une riche biodiversité. Mais le plus fascinant est que certaines d’entre elles révèlent des chefs-d’œuvre d’intelligence naturelle et de réussite environnementale. Ces termitières « de luxe » offrent à leurs occupants un confort que pourrait leur envier toute la faune avoisinante. Cela grâce à un mécanisme biologique des plus ingénieux, qui utilise… le champ magnétique terrestre !

Leur aménagement ne doit rien au hasard. Il obéit à des lois que le genre humain a d’évidence trop longtemps négligées. Ces termitières géantes sont orientées de façon à exposer l’essentiel de leur surface vers l’est et l’ouest, autrement dit vers le Levant et le Couchant, limitant dès lors la zone exposée aux ardeurs brûlantes du soleil de midi. Complété par un dispositif de ventilation interne de galeries, l’imposant habitat collectif assure ainsi une thermorégulation aussi efficace que bénéfique à tous les organismes vivants qui l’occupent. Quant au tracé de ces galeries, il garantit l’évacuation des eaux de pluie lorsqu’elles sont trop abondantes, autant que leur circulation et leur conservation dans des proportions nécessaires à, là encore, apporter un peu de fraîcheur au sein de l’infrastructure.

Des exemples comme celui-là sont innombrables dans l’environnement. Et il semble qu’à chaque question que soulève une forte densité de population, la nature ait déjà trouvé une solution. Après la climatisation naturelle des termitières, je pourrais te parler de l’étonnant service de nettoyage collectif mis en place par les abeilles dans leur ruche. Et il ne faut pas négliger non plus les apports du monde végétal dans tes futurs projets : les plantes capables de dépolluer l’air, de l’enrichir en oxygène, de créer des jeux de lumière et de la moduler.

Car, le plus intéressant dans cette façon d’imaginer nos villes, est que l’espace gagné au sol, non couvert de béton, pourra l’être par des arbres, des plantes, des fleurs, avec toute la faune qui les accompagne. Les potagers renaîtront, apportant leurs lots d’herbes et de légumes frais ; les ruchers fourniront du miel ; les arbres procureront de l’ombre et du calme à nos esprits agités…

Tu le vois, plutôt que de continuer à bâtir des villes à la campagne, il serait plus intelligent de réintroduire la campagne dans nos villes.

Je suis bien sûr consciente que du temps s’est écoulé depuis l’envoi de ton courrier. Il est possible que tes centres d’intérêt aient changé, et qu’un ordinateur et son cortège de jeux vidéo aient remplacé ta planche à dessins. Mais si l’architecture reste ta passion et que mes remarques t’ont intéressé, n’hésite pas à m’écrire. J’en serai heureuse et je te promets de te répondre rapidement.

J’espère juste t’avoir convaincu que prêter attention aux mystères de la nature, comme ceux des insectes, abeille céleste ou tellurique termite, peut refréner notre certitude d’être une espèce supérieure aux autres ; nous aider à réaliser que l’on peut être petit et tout de même voir très grand.

C’est en tout cas ainsi que je t’ai perçu dans ta lettre.

 

Cher Nicolas, je t’adresse, au nom de Gustave et de moi-même, mes plus chaleureuses pensées.

 

Alva E

 

La semaine prochaine, Sophie nous parle de son rêve et… des étoiles.

D'ici là, Joyeuses Pâques à tous.

 

Publié le 16/04/2022
« Lettre Imaginaire » -4 Mon cher Gustave...

 

Quelle que soit la branche que vous avez choisie,

dans votre vie future,

appliquez-vous à développer un progrès aussi minime soit-il.

Vous en ferez un bien général.

 

Gustave Eiffel

 

 

Madame, Monsieur,

 

Depuis que je suis tout petit, j’admire la magnifique tour que M. Eiffel a créée pour la ville de Paris. Ma chambre est remplie de photos et d’objets à son effigie, et j’ai surtout la chance de pouvoir l’apercevoir en vrai, depuis la lucarne des toilettes de notre appartement.

Le soir, après le dîner, juste avant vingt heures, je file aux toilettes pour guetter le moment où la belle va s’illuminer. Je ne me lasse pas de la voir se parer, durant cinq trop courtes minutes, de sa scintillante robe dorée. Elle devient plus magique encore qu’un sapin de Noël ! Des fois, je me fais disputer par le reste de la famille, qui aimerait aussi disposer des WC et voudrait que je me dépêche.

Quand je leur ai expliqué pourquoi je m’y enfermais aussi régulièrement (ma mère ayant cru que j’étais malade), ils se sont moqués de moi. Mon père a dit : « Ta tour, quand on l’a vue une fois, c’est bon. Il faudrait peut-être que tu passes à des choses plus passionnantes ! »

Plus passionnantes ! Est-ce qu’il se rend compte ? La somme de connaissances qu’un ingénieur aussi savant que M. Eiffel a dû assembler pour concevoir pareil chef d’œuvre ! Les gens viennent des quatre coins de la planète pour y grimper. Nous, on n’y est allés qu’une fois, pour l’anniversaire de mes huit ans. C’était il y a trois ans, et j’ai pourtant un peu de mal à me souvenir, sinon qu’il y avait beaucoup de monde et que je ne pouvais pas voir grand-chose. Je voudrais tellement y retourner, maintenant que j’ai grandi. Hélas, personne n’est d’accord pour m’accompagner !

Et c’est ce que je ne comprends pas. Parce qu’à l’école, c’est pareil. Je suis en sixième et on nous a demandé de faire un exposé sur un thème qui nous tient à cœur. J’ai évidemment choisi de parler de la tour Eiffel. Il faut dire que je partais confiant : je suis carrément incollable sur le sujet. J’avais même apporté en classe quelques éléments de ma collection, dont une belle maquette en bois de soixante-dix centimètres de haut.

Pendant mon exposé, les autres n’ont pas cessé de bavarder et rigoler. La prof de Français n’a pas réussi à les calmer, tant ils se moquaient. Ils ont dit que ma tour était complétement dépassée. Ils ont vu des reportages sur des édifices aux dimensions bien plus impressionnantes, à New York, Shanghai, Dubaï ou Singapour. Pour eux, en comparaison des buildings américains, des hôtels arabes ou des gratte-ciel chinois, la Tour Eiffel serait juste ridicule.

C’est précisément la raison pour laquelle je vous écris.

Même si je sais que M. Eiffel est mort il y a presque cent ans, j’imagine qu’il a dû former des élèves, peut-être ses propres enfants, et que ceux-ci poursuivent ses travaux. Il serait alors urgent qu’ils créent de nouveaux plans, pour concevoir une Tour Eiffel beaucoup plus haute, aussi grande que les buildings chinois ou arabes. Il faut qu’elle fasse à nouveau la fierté de la France !

Je suis résolu, en tout cas, à mener plus tard des études d’ingénieur-architecte. Et je ferai tout pour réaliser ce projet dont je rêve.

Il y a aussi d’autres idées que je voudrais mettre en œuvre. Mais sans ordinateur à la maison, c’est difficile. D’autant que je n’y connais pas grand-chose en matériaux ou en « calculs de portance ». J’ai tout de même dessiné plusieurs plans que je serais très heureux de pouvoir présenter à un expert, dont l’avis me ferait tant plaisir.

J’ai imaginé des constructions que je crois ingénieuses, et surtout innovantes. Il va de soi que j’ai commencé par dessiner une « Tour Eiffel » avec plusieurs étages supplémentaires. Mais je n’en ai pas vraiment vu l’intérêt ; à l’exception d’un projet dans lequel, en partant du milieu de la structure, j’ajoute des parois en plexiglas, disposées en pyramide inversée. Je l’ai appelée ma tour « sablier », et je la crois très réussie.

En fait, je trouve qu’il y a des formes auxquelles il est difficile d’échapper. Celle de la tour Eiffel ne rappelle-t-elle pas les pyramides d’Égypte, ou même, dans la nature, le sapin de Noël que j’évoquais plus haut ?

Du coup, je me suis demandé s’il serait possible de créer d’immenses structures d’habitation, sur le principe des pyramides, mais que l’on construirait « la tête en bas » ? Elles reposeraient sur leur pointe ! Bien sûr, pour les consolider, un pilier serait dressé depuis chaque angle de la structure, jusqu’au sol. L’avantage serait ainsi de ne pas occuper trop de place au sol et de disposer, au dernier étage, d’une immense terrasse en altitude, où les gens pourraient se promener, faire du sport, avoir une piscine, des boutiques… Et les quatre piliers pourraient même faire office de conduits d’ascenseurs pour atteindre directement le toit de l’immeuble !

 

Cela laisserait plein de place au niveau du sol pour circuler librement. J’ai même pensé que certaines de ces pyramides pourraient être disposées de telle façon que leurs sommets soient accolés sur un côté, ce qui augmenterait d’autant la surface totale des terrasses et les choix pour les aménager.

Je ne sais pas si mes idées sont bonnes ou bien stupides. Surtout, je ne sais pas avec qui les partager. Au collège, plus personne ne prend au sérieux « Monsieur Tour Fêlé ». Et à la maison, ma grande sœur déteste (à cause de moi) la tour Eiffel ou tout ce qui s’y rapporte, tandis que mes parents aimeraient vraiment que « je passe à autre chose ».

Mais si par bonheur quelqu’un dans votre entourage était intéressé, sachez que je serais très heureux de lui montrer mes plans et de consacrer tout le temps nécessaire pour en faire l’étude avec lui.

Je suis impatient de lire votre réponse et vous prie, Madame, Monsieur, de recevoir l’expression de mes salutations les plus distinguées.

 

Votre dévoué,

Nicolas Pichon.

 

PS : sur les conseils de ma maman, je vous joins une lettre timbrée avec mon adresse, pour votre réponse.

 

 

Et si Nicolas avait eu raison de joindre une enveloppe avec son adresse ?

À la semaine prochaine…

Publié le 11/04/2022

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